En sortie de premier confinement, je m’en allais tout droit en marchant pendant 24 heures pour voir jusqu’où cela me mènerait. Ce périple jusqu’à Chartres n’a pas été aussi simple qu’imaginé et s’est traduit par un petit récit : « Sur les traces de Charles Péguy ». Inscrit au Concours de Récits d’Aventure du Festival du Film d’Aventure de la Réunion 2021 organisé par l’association Au-Bout-du-Rêve, je n’ai pas été lauréat mais heureux finaliste parmi d’autres histoires qui vous donneront peut-être envie de vous évader :
https://auboutdureve.fr/concours-de-recits/
La nouvelle ici : https://auboutdureve.fr/wp-content/uploads/2021/11/11.-Sur-les-traces-de-Charles-Peguy-Gaetan-Villeret.pdf
Sur les traces de Charles Péguy
«Lorsqu’on est enfant, on veut tout connaitre de la vie qui s’offre à nous. On pose alors des questions à nos ainés qui se doivent d’avoir toutes les réponses. Avec le temps, la tendance est de ne plus rien demander aux autres et de chercher sur internet avant tout. Cependant une autre solution existe : la réponse par la pratique.
« Où peut-on aller en marchant pendant vingt-quatre heures ? »
Marcher ne demande pas d’effort musculaire intense. C’est un mode d’endurance suprême où les muscles utilisent simplement l’oxygène que l’on respire associé à la dégradation des lipides et donc de la graisse du corps pour produire de l’énergie. Vue l’énorme réserve de graisse du corps (oui, même en étant maigre on en a) ainsi que l’apport permanent d’oxygène par la respiration, on a hypothétiquement la possibilité de faire fonctionner un muscle quasiment indéfiniment. N’est-ce pas incroyable ? Donc l’autre jour, je me suis demandé jusqu’où on pouvait aller en vingt-quatre heures simplement en marchant dans une unique direction, à allure normale. Plutôt que de trouver des réponses approximatives sur internet, j’ai mis des affaires dans un sac et je suis parti en suivant le tracé de Charles Péguy, écrivain-poète (fin du XIXème et début du XXème) qui effectua des pèlerinages entre sa ville natale, Palaiseau, et la ville de Chartres.
Un tracé initial de quatre-vingt-quatorze kilomètres avec un petit supplément personnel de neuf kilomètres pour aller de mon domicile jusqu’à Palaiseau. Dans le paquetage : des boites de conserve, des bananes, beaucoup d’eau, des bâtons au cas où (je ne sais pas ce qui m’attends alors tant pis pour le poids), téléphone, batterie de secours, frontale, imperméable, chapeau et tour de cou.
Après une courte nuit arrosée et donc une première erreur, départ à dix heures du matin en direction de Lozère à Palaiseau où se situe l’ancienne maison de Charles Péguy et le début du tracé. Pour aller jusqu’à Chartres par son chemin, « il suffit » de suivre de minuscules autocollants bleu et blanc à l’effigie de l’écrivain, à peine visibles sur les montants des balisages routiers. Sachant que l’essentiel du parcours se situe hors agglomération, il n’y a pas énormément d’étiquettes et on a intérêt à être attentif.
On sort rapidement des villes desservies par le bout du RER B. Les premières heures se passent plutôt bien et on croise un peu de monde sur les chemins vallonnés serpentant au milieu des forêts qui protègent du soleil printanier. La chaleur est présente depuis plusieurs semaines et cela rend la terre complètement sèche. Les ornières des tracteurs ressemblent à un pierrier : difficile d’avoir le pied à plat. Puis, en suivant l’ancienne voie désaffectée dédiée à l’aérotrain, un long couloir bordé d’arbres s’élance à perte de vue et rappelle que la route est encore longue. Mais à ce moment-là, j’ai deux soucis principaux : gérer mon stock d’eau qui s’épuise rapidement à cause de la chaleur et chasser les mouches qui gravitent autour de ma transpiration. Pour les mouches ce n’est pas bien grave et plus la journée avance, moins il y en a. Pour l’eau, je compte avant tout pouvoir me ravitailler dans un petit commerce de proximité. Ça tombe bien, il y a normalement Dourdan à quinze kilomètres soit environ trois heures de marche tout de même. Il est donc fondamental de bien gérer ses stocks de vivre. Ah enfin ! La boulangerie de village ! Ce lieu incroyable où l’on peut acheter tout et n’importe quoi, où les gens sont gentils et les portions généreuses.
Ressorti avec mon eau et un quart de quiche pour moins que rien, je repars sur les chemins avant de croiser ma dulcinée venue me souhaiter bon courage en apportant un ravitaillement supplémentaire. L’importance de son soutien est incommensurable. Pour faire le point sur mon état à ce moment-là : les muscles tirent un peu car cela fait déjà onze heures d’effort et quelques ampoules commencent à s’échauffer mais rien de critique. Ce qui m’inquiète surtout, c’est qu’il me reste encore plus de la moitié à parcourir et que la nuit approche. Avançant vers l’Ouest à travers les champs, je vois le soleil se coucher et la nuit s’assombrir derrière moi. Quelques coups de feu de chasseur me rappellent que je dois mettre ma frontale et d’autres lampes clignotantes pour être visible et me transformer en homme guirlande. Enormément de bruits dans le noir, bien plus qu’en journée, certainement dus à des animaux mais ma culture citadine ne me permet pas de les reconnaître. Cela débouche notamment sur deux gros moments de frayeur : des pigeons ramiers qui s’envolent au dernier moment devant moi au milieu des feuilles asséchées et des cris au milieu d’un champ de maïs que j’associe à des sangliers mais sans jamais les voir. Dans le doute, je donne des coups de sifflet pour calmer les environs, tenter de me rassurer et certainement passer pour un fou.
Avez-vous déjà dormi dans la rue ? Une heure du matin, quinze heures d’effort. Les villages faiblement éclairés me rappellent qu’il existe une civilisation. Je commence à n’être plus vraiment lucide et j’ai peur de me fouler la cheville sur un trou invisible. On va donc trouver un endroit pour se reposer un peu : un coin d’herbe sous un arbre ? A la merci des insectes rampants. Sur un trottoir ? Le sol est trop froid. On va sonner chez quelqu’un ? En plein milieu de la nuit, très mauvaise idée. Ah ! Un banc près d’une église, ça fera l’affaire. Je m’habille au maximum, un turban, des manchettes, l’imperméable, les gants, le sac à dos sous la tête car on ne sait jamais, s’il y a des vols en pleine nuit dans une campagne perdue. De toute façon, inutile de réfléchir, le réveil est réglé sur trois heures du matin. C’est horrible : il fait tellement froid à cause des courants d’air et le banc est extrêmement rigide. Impossible de dormir correctement dehors sans rien et j’ai alors une grosse pensée pour ceux qui y sont contraints. J’ouvre les yeux toutes les vingt minutes car je suis gelé et je regarde autour de moi si des gens s’approchent. C’est l’heure du réveil, si je ne me mets pas à marcher tout de suite, je vais mourir de froid, il faut vite s’activer. On y va, on reprend donc la route avec un peu de repos mental mais avec plus d’entrain pour réchauffer le corps.
Les forêts et les villages s’enchainent jusqu’à l’étonnant chant d’un coq vers quatre heures du matin alors que le ciel est intégralement obscur. Je jette alors un coup d’oeil derrière moi et j’aperçois la lueur de l’aube se profiler, c’est génial ! Beaucoup de satisfaction à savoir le jour arriver dans le dos et ça fait un bien fou au moral. Malgré le peu de sommeil, on peut retrouver de la lucidité et de la force physique simplement en suivant le rythme circadien et l’effet de la luminosité. Vous n’imaginez pas ce que vous êtes capable de faire avec un rayon de soleil.
Six heures du matin, l’idée de base était d’arriver vers Chartres avant dix heures.
Au loin dans la plaine, on voit dépasser l’énorme clocher mais à vue de nez, il reste encore beaucoup de route. A l’aurore, les chaussures imperméables sont une bonne idée. En effet, la rosée des herbes hautes imbibent tout ce qui est en contact.
Cependant ce type de chaussures est souvent plus épais et peut favoriser les ampoules. C’était peut-être la deuxième erreur de la préparation.
Cette cathédrale ne s’approche donc jamais ! Déjà cent kilomètres parcourus et aucune idée de ce qu’il reste car je n’arrive plus à réfléchir correctement. Les muscles vont bien mais les pieds sont meurtris. Le sac est vide d’eau et de nourriture, néanmoins c’est aussi une technique pour s’alléger sur une fin de parcours. J’entre dans Chartres en boitant avec des cernes aussi longs que la colline qui porte la cathédrale mais on y est ! Presque vingt-quatre heures et cent neuf kilomètres de marche, un chemin de croix qui ressemble vraiment à un pèlerinage et une galère mais après tout, tellement satisfaisant. Quel plaisir de savourer ce banc face au monument enfin à portée de main. Les douleurs sont présentes mais l’euphorie du moment emporte tout sur son passage. Je n’arrive pas à retirer ce sourire de ma bouche sous le regard des gens amusés de mon attirail et de mon état déplorable. Ils ne savent pas ce que je viens d’endurer et qu’importe.
Il n’y a plus qu’à se faire raccompagner à la maison et se souvenir à tout jamais de ces rayons de soleil qui ont rythmé mes pas à travers les campagnes de la Beauce. »
Les enseignements à retenir :
- même si les muscles vont bien, des choses anodines comme des ampoules peuvent vraiment impacter une course
- dormir dans la rue sans préméditation est difficilement envisageable,
- on peut boire et manger énormément en marchant car pas de trouble digestif, ça peut ponctuer une course si on veut continuer à avancer tout en se ravitaillant.
- on peut aller très loin juste avec ses pieds sans effort violent
- le soleil est vraiment propice à l'effort et à la réflexion
Une idée de plus de ce qui m'attends l'année prochaine ou plus tard...
Gaëtan le 02/06/2020